Agrivoltaïsme : enjeux de l’agricole photovoltaïque pour un développement durable
Quand l’agriculture rencontre le solaire : une alliance pleine de promesses
Et si vos tomates poussaient à l’ombre d’un panneau solaire ? Non, ce n’est pas la dernière idée farfelue d’un startuppeur en quête de buzz, mais bien une réalité technique qui s’installe progressivement dans nos campagnes : l’agrivoltaïsme. Derrière ce mot barbare se cache une idée plutôt ingénieuse – produire de l’électricité photovoltaïque tout en cultivant la terre. Mais est-ce vraiment si simple ? Et surtout, quels en sont les avantages et les limites ? Je vous emmène explorer ce concept à l’intersection de la transition énergétique et de l’agriculture durable.
Petit rappel : qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ?
L’agrivoltaïsme, parfois aussi appelé agro-photovoltaïque, désigne l’installation de panneaux solaires au-dessus ou à proximité des cultures agricoles, avec un objectif double : produire de l’énergie renouvelable et préserver ou améliorer la production agricole.
Le principe repose généralement sur des structures surélevées, parfois mobiles, qui permettent à la fois le passage de la lumière pour les plantes et l’accès des engins agricoles. L’ombre partielle fournie par les panneaux peut même s’avérer bénéfique pour certaines cultures sensibles aux excès de chaleur ou au stress hydrique.
Le concept est né dans les années 1980, mais il a franchi un cap en France avec les expérimentations menées depuis une décennie. Et depuis 2023, la loi d’accélération des énergies renouvelables encadre et promeut officiellement l’agrivoltaïsme, à condition que la priorité reste donnée à la fonction agricole.
Les bénéfices potentiels : quand le solaire cultive la résilience
Commençons par le positif, car oui, l’agrivoltaïsme a sérieusement de quoi séduire.
- Optimisation de l’espace : En associant agriculture et énergie, on utilise une même surface pour deux fonctions essentielles – nourrir et produire de l’électricité. Un atout majeur dans un contexte de raréfaction des terres disponibles.
- Protection des cultures : Les panneaux servent de parasols intelligents. Ils atténuent les pics de température, réduisent l’évaporation et peuvent protéger contre la grêle – autant de services écosystémiques bienvenus pour les agriculteurs, surtout face au changement climatique.
- Revenus complémentaires pour les exploitants : En partageant ou louant leur foncier à un opérateur photovoltaïque, les agriculteurs peuvent sécuriser une partie de leurs revenus, voire investir eux-mêmes dans la production d’énergie.
- Réduction de l’empreinte carbone : L’électricité produite localement est renouvelable et sans émissions directes de CO₂. Une stratégie cohérente avec les objectifs de neutralité carbone.
Et à ceux qui se demandent si tout cela fonctionne en conditions réelles, un détour par Tresserre, dans les Pyrénées-Orientales, est édifiant. Là-bas, le projet mené par Sun’Agri sur un vignoble a démontré que la vigne continuait à produire, avec une irrigation réduite de presque 20 %. Pas mal, non ?
Des défis techniques et réglementaires à ne pas sous-estimer
Bien sûr, tout n’est pas rose (ni vert fluo). L’agrivoltaïsme représente aussi un défi d’ingénierie et de gouvernance.
- Des installations à concevoir sur-mesure : Pas question d’imposer les mêmes structures pour un champ de blé que pour une culture maraîchère. Chaque agrivoltaïque est un subtil jeu d’équilibre entre ombrage, orientation, accès aux parcelles et maintenabilité.
- Un coût d’investissement élevé : Les structures surélevées, pivotantes ou semi-transparentes coûtent plus cher que de simples centrales au sol. Pour être compétitives, elles doivent trouver un modèle économique robuste et adapté à chaque filière.
- Des critères encore flous : Même si la législation évolue, les critères pour qualifier un projet d’«agrivoltaïque» restent parfois vagues. La vigilance est de mise pour éviter le greenwashing ou la transformation des terres agricoles en vastes fermes solaires déguisées.
Il est impératif de garantir que l’énergie reste au service de l’agriculture, et non l’inverse. Le risque que les grandes exploitations soient les seules à bénéficier de cette nouvelle manne n’est pas à exclure. Veillons à ne pas créer une agriculture à deux vitesses, où seuls ceux qui ont les moyens technologiques profitent de la transition verte.
Quels types de structures pour quels types de cultures ?
Dans l’agrivoltaïsme, le diable est dans les détails, et tout repose sur l’adaptation technique au terrain agricole.
- Les structures fixes surélevées : Idéales pour les vignes, vergers ou prairies. Elles offrent une protection et permettent l’accès des engins agricoles.
- Les systèmes dynamiques ou orientables : Ces panneaux motorisés peuvent s’incliner ou se relever selon les besoins des plantes. L’ombre est ainsi modulée en fonction du cycle de croissance.
- Les installations mobiles ou saisonnières : Déployées temporairement, elles permettent de s’adapter aux calendriers de culture. C’est encore expérimental, mais prometteur pour les petites exploitations.
- Les serres photovoltaïques : Elles combinent abri climaticide et production solaire. Particulièrement adaptées au maraîchage ou aux cultures sensibles comme les fraises.
Chaque culture a ses exigences, chaque exploitation son potentiel. Une approche “copier-coller” serait contre-productive. Le seul mot d’ordre : co-conception avec l’agriculteur.
Un cadre en évolution : ce que dit la loi
Jusqu’à récemment, le flou juridique autour de l’agrivoltaïsme freinait le développement de nombreux projets. Bonne nouvelle : la loi d’accélération de 2023 apporte un peu de clarté. Elle stipule qu’un projet ne peut être réputé agrivoltaïque que s’il respecte quatre critères cumulés :
- Préservation ou amélioration durable du potentiel agronomique des sols ;
- Production agricole significative et continue ;
- Revenus agricoles conservés de façon majoritaire ;
- Compatibilité avec les activités agricoles principales du site.
Sans cela, une installation solaire sur terrain agricole ne peut prétendre au statut, ni aux avantages qui y sont associés.
Chaque projet doit désormais faire l’objet d’une évaluation préalable, souvent en lien avec les chambres d’agriculture et la DREAL. Et c’est tant mieux ! Cela limite les dérives et renforce la crédibilité de cette filière émergente.
Les perspectives : vers une agriculture sous éclairage renouvelable ?
On l’aura compris, l’agrivoltaïsme n’est pas une baguette magique, mais il représente un outil puissant pour avancer sur deux fronts essentiels : la souveraineté énergétique et la résilience agricole.
Avec l’essor attendu du photovoltaïque en France – objectif : multiplier par 5 la capacité installée d’ici 2030 –, l’agrivoltaïsme pourrait représenter jusqu’à 10 % des installations futures, selon l’ADEME. À condition, bien sûr, qu’il soit bien encadré et réellement vertueux.
Certains territoires prennent les devants. La région Occitanie, par exemple, multiplie les appels à projets pour développer des démonstrateurs grandeur nature. Là encore, la clé du succès semble tenir en un mot : l’intelligence du terrain.
Et il ne faut pas négliger l’effet levier : un agriculteur engagé dans un projet agrivoltaïque est aussi souvent celui qui adopte d’autres pratiques innovantes : agroforesterie, agriculture de conservation, valorisation des biodéchets… La transition énergétique devient alors un catalyseur de transformation plus globale.
Et demain ? L’agrivoltaïsme citoyen, collaboratif et local
Imaginez une parcelle exploitée par un groupement d’agriculteurs, produisant à la fois des légumes bio et de l’électricité verte vendue à une coopérative locale. Un modèle de circuit court… pour l’énergie !
Certains projets pionniers fleurissent déjà dans cette logique, associant habitants, collectivités et producteurs. En Bretagne, la société citoyenne “Centrales Villageoises de Brocéliande” réfléchit à ce type d’hybridation. Un moyen de réconcilier acteurs énergétiques et monde rural, tout en boostant l’acceptabilité sociale.
Alors, qui aurait cru qu’un panneau solaire pouvait faire plus que produire du kWh ? Dans le paysage agricole de demain, il pourrait bien devenir un allié aussi discret qu’essentiel. Et entre nous, si l’on peut cultiver des carottes en captant l’énergie du soleil, pourquoi s’en priver ?